Dans son livre "Propagandes", Jacques Ellul consacre un chapitre d'une trentaine de pages sur les effets psychologiques de la propagande. Il en conclut notamment que l'aliénation, qui fait que l'individu devient étranger à lui-même, est une des conséquences de la propagande. Il constate, par ailleurs, que l'individu qui subit une influence massive devient lui-même un pur produit de la propagande ; un objet complétement manipulé, sans réalité propre, incapable de penser par lui-même et de former ainsi un jugement critique sur sa propre expérience.
„ L'homme soumis à la propagande ne reste pas intact, indemne : il est modifié non seulement dans ses opinions ou ses attitudes, mais aussi dans ses pulsions ou ses structures psychiques. “
- Jacques Ellul -
Prendre parti pour quelqu'un dans une situation conflictuelle, lorsque cet influenceur cherche activement à vous convaincre d'agir dans un sens déterminé, ne conduit pas seulement le sujet sous emprise à calquer son comportement sur son mentor, mais transforme en profondeur sa personnalité. Les effets psychiques de la propagande sont loin d'être négligeables. C'est pourquoi Jacques Ellul affirme que celui qui subit l'influence de la propagande ne s'en tire pas indemne. Non seulement ses opinions ainsi que ses attitudes sont modifiées, mais plus profondément, et de manière durable, ses facultés mentales, de même que son état émotionnel, se voient également altérés.
En raison de la cristallisation psychologique induite par la propagande, rendant les sujets influencés totalement hermétiques au changement, l'auteur doute fortement que les individus aliénés puissent récupérer leurs facultés sans un intense travail de déprogrammation. La personne dont on a lavé le cerveau interprète paradoxalement toute invitation au changement comme une tentative de le manipuler. Parce que c'est bien là que se situe l'effet le plus pervers de la propagande : la conviction qui habite le sujet manipulé que tout ce qui s'oppose à sa manière de penser est un signe de malveillance à son égard. Il ne veut pas et ne peut pas renoncer aux certitudes qu'il s'est forgées, car elles lui donnent une clé de compréhension intuitive et définitive du monde. Ses nouvelles croyances ont le triple mérite de faire taire ses doutes, de supprimer ses peurs, et finalement de décharger son hostilité. Il s'agit donc de convictions inébranlables qui font désormais partie intégrante de son organisation psychique. Elles sont utiles autant dans la compréhension des événements passés que dans leur gestion présente ainsi que dans ses tentatives d'insertion sociale futures.
Est-ce que ces conclusions au sujet des effets de la propagande sont applicables aux enfants qui subissent l'influence de parents aliénants ?
Bien que l'étude sociologique des propagandes faite par Jacques Ellul soit consacrée à des adultes, nous estimons que ses résultats sont non seulement parfaitement valables pour des enfants dans un contexte d'aliénation parentale, mais même que ces situations particulières facilitent considérablement la tâche du propagandiste (terme utilisé par l'auteur du livre). En lieu et place de "propagandiste" nous utiliserons plus fréquemment le terme de "parent aliénant" sans pour autant négliger le fait que pour asseoir son emprise et prendre le pouvoir dans la triade familiale ce parent, comme tout bon propagandiste, s'alimente des nombreux stéréotypes, véhiculés par la société à une période donnée. Nous partons également du principe que ce parent agit sincèrement pour le bien de son enfant et que les idées qu'il dissémine autour de lui sont partagées par d'autres intervenants qui agissent dans le même sens que le sien, consciemment ou inconsciemment. Toutes ces personnes sont d'une certaine manière victimes de la propagande, ce qui ne les innocente pas pour autant de la maltraitance subie par les enfants.
Les effets psychologiques de la propagande sont à notre avis bien visibles chez les enfants aliénés. Ils constituent la preuve de l'abus infligé autant par le patent aliénant que par ses complices. Lorsque le parent exclu est réduit au silence et n'a aucune possibilité d'intervention, nous supposons que seule l'aliénation parentale est susceptible de provoquer ces conséquences néfastes. Dans ces situations, l'enfant passe, en effet, le plus clair de son temps avec le propagandiste, contrairement à l'adulte soumis à des informations et des influences diverses. Nous pensons, aussi, que l'enfant est captif et pris en otage et que le fonctionnement de son milieu est très semblable à celui d'un mouvement sectaire hermétique. Ces facteurs précipitants augmentent sensiblement les risques auxquels l'enfant est confronté, car ils auront tendance à lui faire adopter une vision encore plus polarisée de la réalité.
Le développement ultérieur des enfants aliénés peut apporter un bon éclairage sur ces difficultés et les problèmes engendrés par ce conditionnement.
Il est certes possible de faire sa place dans la société avec une telle mentalité, mais la propension à se trouver dans des situations conflictuelles du même type n'est pas à négliger.
L'enfant aliéné n'a plus d'intimité qui lui est propre, puisque son ressenti personnel a été effacé au profit de la vision du monde du parent qui s'occupe de lui. Cependant, il est devenu, avant l'heure, un produit fonctionnel, parfaitement intégré à son milieu. Un environnement dans lequel règne certes une vision manichéenne, mais dont l'existence est loin d'être unique, qui se trouve donc parfaitement reproductible.
Totalement déphasé par rapport à la réalité complexe du monde, l'individu aliéné est comme un poisson dans l'eau dans son microcosme. Incapable désormais de se séparer de son héritage culturel, il n'aura de cesse de le dupliquer autour de lui afin de valider les croyances qui lui ont été inculquées.
De là à conclure que l’aliénation parentale, au même titre que la propagande, fournit des objectifs à l’enfant qui en est victime, organise les traits de sa personnalité individuelle dans un système et les fige dans un moule opérationnel de longue durée, il y a certes un pas difficile à franchir tant les conséquences paraissent compromettre toute réunification avec un parent écarté. Néanmoins, le nombre restreint d’enfants admettant publiquement avoir été aliénés dans leur enfance semble démontrer à quel point il est difficile d’admettre d’avoir été sous l’influence unilatérale d’autrui, et a fortiori quand il s’agit d’un parent.