L’aliénation, comme la perversion, a besoin d’acteurs et de figurants. Au moins trois protagonistes sont nécessaires. Celui qui donne l’impulsion au mécanisme, c’est-à-dire le parent aliénant. L’enfant qui subit, collabore et participe à sa propre aliénation. Le parent rejeté, omniprésent dans les scripts aliénants, malgré son absence physique.
Les deux premiers comparses forment le couple pervers. Le troisième tient le rôle de bouc émissaire, véritable baromètre de leur équilibre.

„ Quand deux âmes perverses s'étalent réciproquement leur impudique nudité, leur mutuelle laideur les révolte. Ils sont l'un à l'autre comme un effroyable miroir. Leur propre bassesse les humilie dans autrui, leur propre orgueil les confond, leur propre néant les épouvante, et ils ne peuvent se fuir, se désavouer eux-mêmes dans leur semblable ; car chaque rapport odieux, chaque affreuse coïncidence, chaque hideuse parité, trouvent en eux une voix toujours infatigable qui les dénonce à leurs oreilles sans se fatiguer. Quelque secret que soit leur entretien, il a toujours deux insupportables témoins, Dieu qu'ils ne voient pas, et la conscience qu'ils sentent. “
- Victor Hugo -

Le parent aliénant est le metteur en scène. C’est lui qui organise matériellement, comme dans une pièce de théâtre, le spectacle dramatique de l’aliénation. L’enfant est tour à tour la victime du grand méchant loup (le parent diabolisé et rejeté), l’allié de son sauveur (le parent aliénant) ainsi que son souffre-douleur, quand il se rebelle. Finalement, l’enfant représente aussi le conjoint idéalisé, et bientôt le modèle parental, que le parent aliénant aurait souhaité avoir.
Dans tous les cas, l’enfant est avant tout un objet manipulable, dont la fonction est essentiellement de justifier le chaos régnant dans l’esprit du parent aliénant.

Dans les familles aliénantes, on parle beaucoup du bouc émissaire, en mal il s’entend, bien qu’il soit paradoxalement absent. Les comparses du parent aliénant ont également une fonction stabilisatrice importante, car la dynamique de l’aliénation doit constamment se régénérer. Elle se légitime à travers l’entretien d’un univers manichéen, nécessitant autant l’approbation que la participation des acteurs et des spectateurs. Ces personnes jouent, consciemment ou inconsciemment, le rôle qui leur a été assigné. Elles n’ont pas d’autre utilité. Leur existence dépend étroitement de celle du metteur en scène.
La conséquence immédiate de l’élimination du scénariste équivaut à la fin du psychodrame. Les observateurs lucides ressentent intuitivement qu’il suffirait que le parent aliénant n’ait plus la possibilité de sévir pour que l’aliénation disparaisse, comme par enchantement.
Cette connaissance n’est cependant pas très utile dans un État de droit où les règlements de comptes sont légalement sanctionnés. Il est particulièrement contre-indiqué d’agresser, d’une quelconque manière, un parent aliénant, pour la simple et bonne raison que cela lui offre l’opportunité de jouer, encore mieux, le rôle de victime qui lui sied si bien.

Sachant que l’aliénation a besoin de plusieurs figurants pour fonctionner, tous les efforts pour la stopper doivent être consacrés non pas à la neutralisation directe de celui qui est aux commandes, mais aux maillons faibles qui sont sous son influence.

La faiblesse du parent aliénant tient au fait qu’il perd tous ses moyens, à partir du moment où il n’est plus capable de manipuler son entourage. Bien entendu, nous ne pouvons pas éliminer d’un claquement de doigts une attitude fortement ancrée, faisant désormais partie intégrante de sa personnalité. Bien que l’exercice de la manipulation malveillante puisse se révéler également fort préjudiciable à son auteur, tous les efforts entrepris pour lui faire comprendre la nécessité de changer de comportement sont rarement couronnés de succès.

La bonne méthode n’est pas de s’atteler à cette tâche extrêmement complexe, mais plutôt d’éroder son pouvoir et de fragiliser progressivement sa position, en se consacrant aux autres protagonistes, dont les observateurs extérieurs, et en ne ménageant pas ses efforts afin de susciter une vraie prise de conscience du drame qui se joue. Ces personnes ont, à divers degrés, la possibilité de comprendre le fonctionnement de l’aliénation parentale. D’abord, parce qu’elles peuvent en être les victimes collatérales et en souffrir directement, au même titre que les enfants aliénés et les parents rejetés. L’aliénation induit des réactions comportementales primaires aux effets indésirables sur la santé globale de l’individu.
Les psychologues établissent un lien direct entre les troubles de la personnalité de certains enfants et les situations conflictuelles qu’ils endurent au sein de familles sous l’emprise de parents aliénants. La forte manipulation mentale à laquelle ces enfants sont soumis, s’apparente à de la maltraitance psychologique, qui laisse des traces indélébiles susceptibles de perturber gravement leur développement affectif.

La plupart des parents aliénants prétendent, lorsque les maux de leurs enfants ne peuvent plus être niés, que cet état résulte des mauvais traitements du parent exclu de leur vie et qu’ils n’ont, quant à eux, absolument rien à se reprocher.

Le parent manipulateur tire sa force de la fragilité et de la vulnérabilité de ses enfants. Au nom de l’amour maternel ou paternel, il abuse de la confiance de ses enfants dans un but de domination purement égocentrique sur son entourage. C’est sa manière de se mettre en valeur que de répandre des calomnies sur le dos de son ex-conjoint et de monter ses enfants, ainsi que toutes les personnes qu’il côtoie, contre lui.
Au premier abord, il est difficile de déceler l’agenda caché du parent aliénant, tant il sait se faire passer pour une victime. Bien que l’hypothèse d’une malveillance gratuite fasse froid dans le dos, son mode opératoire trahit bien le rapport pervers que ce type de parent essaie de mettre en place dans la constellation familiale. Il veut contrôler et dominer. Il ne supporte aucune interférence. Il sème la zizanie autour de lui et de plus prétend agir pour le bien de ses enfants.

Cependant, les enfants subissent les conséquences de son comportement abusif. Au fil du temps, il devient de plus en plus difficile de nier leurs problèmes psychologiques et leur souffrance.

Lorsque l’autre parent ne commet pas l’erreur de réagir aux provocations de ce parent, qui de toute manière ne reconnaît pas son implication directe dans la situation d’aliénation, les accusations du parent aliénant : « ils soufrent à cause de l’autre parent ! », se révèlent alors totalement déplacées.

Lorsque les enfants n’ont, eux-mêmes, plus les moyens d’accuser le parent exclu d’être responsable de leur état déplorable, le lien logique entre leurs problèmes et le comportement du parent qui s’occupe d’eux peut alors s’établir et conduire à une éventuelle prise de conscience.

C’est cette prise de conscience qu’il faut provoquer, le plus rapidement possible, pour inverser la tendance et pour neutraliser un parent aliénant. Afin de l’isoler, il est très important que ses contradictions puissent être mises au jour et exposées publiquement.
Dès que les enfants se questionnent et commencent à mettre en doute la parole de ce parent, il est alors possible de les libérer d’une emprise dont les conséquences sont très préjudiciables à un sain développement affectif.

Concrètement, briser la logique perverse, c’est pour le parent stigmatisé, rester imperméable aux menaces et aux provocations du parent aliénant, c’est apprendre aux enfants à réfléchir par eux-mêmes, à évaluer avec un esprit critique les situations confuses et ambiguës que le parent aliénant alimente et entretient, c’est finalement leur permettre de tirer leurs propres conclusions et de prendre leurs propres décisions. Tout ceci est possible à partir du moment où l’enfant commence à réaliser que ses troubles sont intimement liés au comportement du parent aliénant.

Assurément, briser la logique perverse nécessite également une remise en question totale de la part du parent exclu. Il doit notamment réaliser que bien que ses enfants puissent avoir un comportement déplorable à son égard, ils sont avant tout des victimes.

En conclusion, la logique perverse découle d’une alliance factice, qui repose elle-même sur un rapport de force, qui n’a plus aucune raison d’être, dès que celui qui se trouve en position vulnérable découvre son propre potentiel. C’est uniquement à travers la prise de conscience progressive de l’abus que l’enfant pourra se libérer de cette situation délétère. Évidemment, le parent exclu, qui est au courant du mécanisme, pourrait intervenir en disant toute la vérité. Cependant, cela reste contre-productif tant que l’enfant ne réalise pas, par ses propres moyens, à quel point il a été abusé. Il est donc particulièrement recommandé de guider l’enfant sur cette voie, mais sans jamais lui signifier directement son état de dépendance. Cela passe donc nécessairement par une relation de non-jugement avec l’enfant. Un non-jugement inconditionnel qui doit prévoir, dès le départ, la possibilité de l’échec et qui n’est donc absolument pas fondé sur une nécessité de rendement de la part de l’enfant. Briser la logique perverse consiste, finalement, à démystifier et à tourner en ridicule le parent aliénant, de telle manière à transformer le spectacle pathétique qu’il donne en théâtre de marionnettes guignolesque.