Avant de considérer ce qu'il est possible de faire, il est nécessaire de prendre conscience de ce qui a très peu de chance de se réaliser.
Il est d'abord fort peu probable que l'enfant, qui a pris fait et cause pour un parent contre l'autre, puisse changer du jour au lendemain sa perception de la réalité, quand il est influencé par celui qui est exclu. De très nombreux parents exclus, malgré cette position très désavantageuse pour se faire entendre, nourrissent encore l'espoir que l'enfant va tôt ou tard se rendre compte de l'aliénation. Devant le manque de réaction de leur enfant, ces parents n'hésitent pas à parler ouvertement de la thématique de l'aliénation à l'enfant, en insinuant notamment qu'il est manipulé.
„ J'aime à m'assurer en toutes choses des limites afin d'être certain d'avoir épuisé les possibles. “
- Henri-Frédéric Amiel -
Pour plusieurs raisons, cette stratégie ne marche cependant pas. La première est que l'enfant subit une pression pour le convaincre, qui s'apparente à une forme de manipulation. Ce que le parent, qui a les faveurs de l'enfant, ne manque pas de signaler. Ce qui lui permet en outre de nier sa propre implication dans le conditionnement de son enfant. La seconde raison tient au fait que l'enfant se retrouve devant un dilemme particulièrement épineux. En effet, le parent absent lui demande, ni plus ni moins, de rompre l'équilibre, souvent précaire, que l'enfant est parvenu à atteindre, en se positionnant pour un parent au détriment de l’autre. L'effort demandé à l'enfant, de la part du parent mis sur la touche, est d'autant plus inacceptable qu'il implique une potentielle seconde rupture, qui n'est compensée que théoriquement, puisque l'enfant imagine bien que le parent qui s'occupe de lui ne va pas se laisser faire. L'enfant risque donc de se mettre à dos les deux parents, sans aucune compensation. Finalement, aucun enfant n’a envie de se retrouver tiraillé entre deux parents qui sont en conflit ouvert.
Face à cette situation, apparemment insoluble, de nombreux parents baissent les bras et font le deuil de leur relation avec les enfants aliénés ou attendent des jours meilleurs, en espérant qu'une fois devenus adultes, leurs enfants cherchent à comprendre. Les espoirs de ces parents sont généralement déçus lorsqu'ils constatent, d’une part que leurs enfants ne rompent pas leur alliance unilatérale et d’autre part, que leur attente passive les a aussi privés de leur joie de vivre et des projets concrets gratifiants qu’ils auraient pu réaliser avec d’autres personnes. Ces parents se sont en quelque sorte laissés laminer, non pas par les circonstances tragiques de l’aliénation, mais bien plutôt par une inertie coupable, ne leur offrant au final aucune perspective réjouissante.
Que faire à la place de ces hommes et femmes dont le rôle parental a été invalidé contre leur gré ?
Les victimes adultes de l'aliénation ont d'abord un énorme avantage par rapport à leurs enfants victimes du même abus. Ils ont la faculté de ne pas se laisser dominer par la logique coercitive du parent aliénant. Certes, ils continuent de souffrir du spectacle de l'aliénation, mais ils n'en font plus partie. En d'autres termes, les manœuvres aliénantes n’ont plus de secrets pour eux, même s'ils doivent assister impuissants à l'abus que subissent leurs enfants. Un abus qui, comme nous l'avons vu, n'est pas perceptible par l'enfant, ni d'ailleurs par la plupart des observateurs. Si ces derniers se doutaient de ce qui se passe, l'aliénation serait sanctionnée comme elle le mérite et ne pourrait tout simplement plus avoir lieu.
Nous pouvons tenir le même raisonnement vis-à-vis du parent excluant qui, tant qu'il ne rencontre aucune autre opposition que celle de l'autre parent, a vraiment l'impression d'agir dans son bon droit pour défendre les intérêts de ses enfants. Il est d'autre part très important que ce parent puisse trouver des justifications à son comportement abusif. Les réactions ulcérées et parfois virulentes d'un parent exclu l'incitent à continuer d'agir comme il le fait.
Si le parent rejeté n'a aucun moyen de modifier l'environnement de l'enfant, il peut néanmoins agir indirectement sur son esprit. D'ailleurs, le propre de l'aliénation est bien de répandre de fausses idées au sujet du parent exclu. Des représentations qui deviennent, aux yeux de l'enfant aliéné, des vérités, qu'il accepte d’autant plus facilement qu'il n'est pas en mesure de les contester.
Ce que le parent écarté est encore apte à transmettre est cependant l'exemple d’un comportement respectable, dans un contexte très polarisé. La dignité implique d'abord de se placer moralement au-dessus de la mêlée et de se départir d'un besoin de revanche. Le parent exclu ne demande pas à l'enfant de prendre parti pour lui, ni de reconnaître l'injustice en cours.
L'aliénation se combat en tenant un discours apaisé qui vise à mettre en avant des valeurs intemporelles, sans prétendre en être le détenteur exclusif. Ce que le parent mis sur la touche est capable de transmettre, malgré sa position apparemment très désavantageuse, est paradoxalement l'expression d'une grande force intérieure. Un calme imperturbable, la foi en des valeurs universelles qui dépassent les basses contingences matérielles. Le fait de n’être plus accepté dans son rôle parental, loin d'entamer la volonté d'exister de ce parent, n'a fait que renforcer sa conviction de développer la dimension spirituelle de sa relation à l'enfant. Dans la pratique, il ne s'agit pas de faire du prosélytisme et de brandir ses convictions religieuses ou ésotériques, mais de placer progressivement l'enfant en situation de choisir. De choisir, non pas entre un parent et l'autre, car là n'est plus la question, mais de montrer indirectement à l'enfant, non seulement qu'il n'a pas perdu la faculté de se déterminer sur son propre destin, mais que toute action de sa part devrait aussi être le résultat d'un questionnement sincère.
Finalement, le parent exclu se trouve mieux que quiconque en position de conduire l'enfant, avec patience et un tact infini, à prendre graduellement conscience qu'il détient la solution au problème et que cette solution ne peut en aucun cas être influencée par des réactions émotionnelles, mais au contraire par une analyse objective de la situation. Il est fort possible que ce processus soit très long et que le parent exclu n'assiste pas de son vivant à la renaissance de son enfant. Cela ne doit en aucun cas décourager les parents exclus, car s'ils entrevoient bien cette possibilité d’échec, ils l'acceptent d'autant plus aisément qu'ils savent leur objectif parfaitement louable.
Une fois qu'un individu est convaincu de la justesse de sa démarche, il sait que les efforts entrepris finiront par payer tôt ou tard, sous une forme ou une autre. Cette confiance en l'avenir est le meilleur héritage qu'il puisse transmettre à ses enfants.