Pour bien comprendre l’aliénation parentale, qui est souvent perçue comme un concept très abstrait, il faut d’abord prendre soin de remplacer le terme « aliéné » par celui de « manipulé ».

« L’enfant aliéné est défini comme un enfant qui exprime, librement et avec persistance envers un parent, des sentiments négatifs déraisonnables (telles que la colère, la haine, le rejet ou la peur), ainsi que des croyances qui sont considérablement disproportionnés par rapport à l’expérience réelle de l’enfant avec ce parent.»
- Joan B Kelly et Janet Johnston -

La définition reformulée de Kelly et Johnston acquiert ainsi un autre sens, bien plus proche de la réalité :

« L’enfant manipulé est défini comme un enfant qui exprime, librement et avec persistance envers un parent, des sentiments négatifs déraisonnables (telles que la colère, la haine, le rejet ou la peur), ainsi que des croyances qui sont considérablement disproportionnés par rapport à l’expérience réelle de l’enfant avec ce parent. »

Nous ne pouvons nier la possibilité qu’a un parent de manipuler un enfant en lui insufflant toutes sortes de croyances erronées, en particulier sur l’autre parent. Dans un cadre de dépendance qui le rend très vulnérable, nous devons, par la même occasion, admettre que l’enfant ne dispose pas encore des ressources nécessaires pour lutter contre l’influence néfaste dont il peut être l’objet de la part d’un adulte.
Une fois qu’il est impliqué contre son gré dans un système de pensées délirantes, trouvant leur justification par l’existence d’une personne non désirée, qui de son côté va naturellement s’opposer à ce rejet, nous ne pouvons négliger la forte probabilité que l’influence du parent manipulateur conduise progressivement à une forte dégradation des rapports de l’enfant avec le parent cible.

Finalement, les réactions disproportionnées de rejet de l’enfant permettent d’établir la nature pathologique de son comportement, démontrant, par la même occasion, l’existence de la manipulation et par conséquent de l’aliénation parentale.

Manipulation de l’enfant

De la part d’un adulte, il est très facile de manipuler un enfant. Pour bien saisir de quoi est capable un adulte malveillant ainsi que le degré de mainmise qu’il peut exercer sur un enfant, il suffit de considérer un exemple extrême.

Sabine Dardenne à été séquestrée dans un petit réduit par Marc Dutroux, un assassin multirécidiviste belge. Lorsque la fillette de 12 ans a été miraculeusement libérée, de même que sa codétenue de 14 ans, Laëtitia Delhez, et qu’elle s’est retrouvée en présence de son tortionnaire, elle n’a pu s’empêcher de le remercier et de l’embrasser.

Les observateurs demeurèrent stupéfaits, jusqu’à ce qu’ils comprirent que Marc Dutroux était parvenu à convaincre la fillette qu’elle courait un grave danger, si elle s’aventurait hors du trou où il la tenait recluse. Il lui avait dit qu'elle avait été placée dans sa cachette pour éviter d’être retrouvée par un méchant monsieur qui la poursuivait.
Ceux qui pensent que Marc Dutroux est un individu particulièrement rusé et manipulateur négligent le fait que rien n’est plus facile que de manipuler un enfant. Il est parfaitement possible de laver le cerveau d’un enfant en lui faisant croire que sa mère ou son père ne l’aime pas, qu’il le néglige ou même qu’il l’a abandonné.
Un petit enfant est d’autant plus facilement manipulable que sa mémoire n’est pas encore formée. Il est donc aisé d’y effacer ce qu’il a vécu et d’y implanter de faux souvenirs.
Quant à la malveillance, il est très simple de l’attribuer à l’autre parent et de justifier ainsi sa mise à l’écart.
Afin de manipuler un enfant et de faire en sorte qu’il haïsse l’autre parent, celui qui a sa garde n’a même pas besoin de se justifier verbalement. Il lui suffit, devant cet enfant, d’exprimer de la douleur, de l’inquiétude, de la frayeur, du dépit, voire de l’énervement chaque fois que l’autre parent se manifeste pour accéder à l’enfant. Toutes les émotions négatives de ce parent manipulateur, qu’il manifeste à la seule évocation de l’autre parent, sont suffisantes pour convaincre l’enfant qu’il y a un problème, dont le parent cible est forcément responsable. L’enfant n’a pas les outils cognitifs ou intellectuels pour s’opposer à l’influence du parent manipulateur. Au contraire, ce qu’il voit de ses yeux, à commencer par l’expression du malheur sur le visage du parent qui s’occupe de lui, s’impose comme une évidence incontournable. Son père ou sa mère souffre et celui qui en est la cause les manipule à distance.
Le renversement des rôles est une attitude caractéristique de la part du parent aliénant et de l’enfant qui est sous son influence.

À partir du moment où l’autre parent a été exclu, il n’est plus en mesure de contrecarrer le mécanisme de la manipulation. Paradoxalement, chaque fois qu’il se manifeste, il ne fait que valider son rôle de bouc émissaire et de légitimer ainsi la manipulation.

Conséquences de la manipulation

Les conséquences de la manipulation malveillante sont toujours dramatiques, car son but final, bien qu’il vise la destruction d’un rapport qui n’est a priori pas indispensable à l’enfant, conduit celui qui subit cette violence à adopter un comportement fortement préjudiciable à son développement affectif et intellectuel.
D'abord, l’enfant apprend très tôt que l’on peut prendre des décisions importantes, comme le rejet d’un membre de sa propre famille, sur la base d’un ressenti subjectif ou d’un simple caprice. Sans avoir besoin d’analyser une situation, sans devoir évaluer les conséquences d’une mesure radicale, il est possible de la porter à terme. Ce genre de passage à l’acte contrevient aux règles élémentaires de la logique et de l’équité.
S’il devient concevable de persécuter quelqu’un uniquement sur la base du ouï-dire ou des bruits qui courent à son sujet, car on estime, au même titre que la personne qui le juge péremptoirement, qu’il est indigne et qu’il mérite la sanction qu’on lui réserve, on prend alors le risque de se tromper.
Cette manière sommaire et cruelle d’administrer la justice, bien qu’elle puisse être très économique et efficace, est la cause de bien des abus. D’autre part, le message transmis à l’enfant est le suivant : « Tu peux sans autre haïr ton propre père ou ta propre mère ».
Il est possible de contester son autorité. Il est possible de l’agresser ouvertement. Il est possible de se comporter de cette manière sans raison justifiable. Uniquement parce qu’un parent décrète qu’il doit en être ainsi. D’un point de vue éducatif, cette manière d’appréhender les rapports humains a un effet catastrophique.

Plus grave est encore l’incidence de cette manière de voir les rapports humains sur le développement psychique d’un enfant, et bien sûr sur sa vie affective future, lorsqu’il sera lui-même un adulte.

Comment cet individu va-t-il gérer ses propres relations sentimentales, quelles idées va-t-il transmettre à ses propres enfants ?

Les témoignages d’enfants manipulés par un parent abusif montrent à quel point l’aliénation façonne, de manière durable et probablement irréversible, la personnalité d’un individu. L’aliénation parentale a des conséquences profondes dont les effets préjudiciables sont mis en évidence par les victimes devenues adultes. Dans la plupart des cas, la dépression est au rendez-vous. Le manque d’auto-estime est flagrant, ces personnes se retrouvent souvent seules. À cause de l’aliénation, le rapport avec un de leurs parents a été totalement détruit. Les années perdues ne sont pas récupérables. C’est un déficit affectif qui les aspire comme un gouffre. Pourtant, l’abus qu’ils ont subi est rarement reconnu. Les parents qui les ont abusés se font passer sans aucune vergogne pour des victimes. Les enfants manipulés, vraies victimes de l’aliénation, sont livrés à eux-mêmes dans un monde hostile où la compréhension et l’amour désintéressé n’existent pas. Même la réunification éventuelle avec leur parent stigmatisé est une source de douleur et de honte. Rien n’est raccommodable. L’estime et la confiance se construisent à travers un long processus, or c’est justement de cela qu’ils ont été dépouillés à leur insu, parfois dès leur prime enfance.

Les raisons de l’aliénation

Quels sentiments faut-il éprouver pour ressentir le besoin d’exclure l’autre parent de la vie de son enfant ?

Là encore, il est inutile de chercher des explications savantes. Tout part du ressenti du parent excluant. De la même manière qu’il est parvenu à convaincre son enfant de la nécessité, pour son bien, il va sans dire, de ne plus avoir affaire à l’autre parent, il s’est lui-même, au préalable, persuadé qu’il n’y avait pas d’autre alternative possible.

Comment en est-il arrivé à cette conviction ?

La raison la plus manifeste, c’est qu’il n’était pas heureux avec l’autre parent. Cette situation n’est pas exceptionnelle en soi, puisque de nombreux couples traversent des crises qui se soldent par des divorces et des conflits dans lesquels sont impliqués, malgré eux, leurs enfants.
Il y a cependant quatre différences essentielles entre les situations conflictuelles normales et celles qui deviennent pathologiques, au point d’engendrer l’aliénation parentale.

La première est que, dans une situation plus ou moins normale, le parent malheureux accepte généralement d’assumer une part de responsabilité pour les problèmes survenus dans sa relation conjugale. Contrairement aux parents aliénants qui se placent habituellement comme des victimes totalement innocentes.

La seconde différence consiste à faire l’effort de ne pas prendre à témoin ses enfants et au contraire de les tenir à l’écart des problématiques de leurs parents. Les parents raisonnables ne désirent pas saborder la relation de leurs enfants avec l’autre parent. Ils considèrent que l’enfant peut en bénéficier, malgré le ressentiment qu’ils conservent envers leur ex-conjoint.

La troisième est que les parents normaux ne cherchent pas à transformer leurs enfants en complices dans la guerre qu’ils mènent contre l’autre parent. Ils préfèrent plutôt se consacrer à refaire leur vie de manière satisfaisante, sans se focaliser sur celle de leur ex-partenaire. Les parents aliénants sont au contraire capables d'utiliser leurs enfants comme de simples instruments de leur vengeance.

Finalement, la quatrième différence essentielle est que les parents normalement constitués ne souffrent pas à l’idée de savoir que leurs enfants pourraient avoir du plaisir à fréquenter l’autre parent. Contrairement aux parents raisonnables, ceux dont nous parlons sont tout simplement jaloux de la joie de vivre de leurs propres enfants. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est justement cette réalité qui leur est intolérable : constater que leur enfant est heureux avec l’autre parent et ressentir avec frayeur que l’enfant leur échappe.
Très souvent, la maltraitance part de cette simple constatation : si l’enfant est capable d’éprouver de la joie là où ce type de parent est incapable d’en ressentir, le danger est alors grand que l’enfant va s’écarter de lui et qu’il risque par conséquent de le perdre.
En d’autres termes, les parents aliénants constatent qu’ils sont incapables d’apporter à l’enfant ce dont ils estiment avoir été privés par leur conjoint, bien que leurs problèmes affectifs soient généralement antérieurs à cette union.

Une personne intelligente et sensible est sans doute capable de faire un travail sur elle-même et de placer les intérêts de son enfant au-dessus des siens. Ce n’est cependant pas le cas pour des parents qui se positionnent dans leurs rapports interpersonnels comme des victimes et dont le but inconscient est de rechercher des responsables de leur mal-être.
Cela explique pourquoi la constitution d’une famille après l’avènement d’un enfant, censé apporter un remède à un conjoint en manque d’estime, ne fait qu’exacerber la situation.
Pour de nombreux parents fragiles, en proie à des problèmes d’ordre affectif, cette nouvelle union possible et exclusive avec leur enfant devient alors le prétexte à une guerre ouverte avec un conjoint qui ne les rendait pas heureux.

Ces parents tentent de régler les comptes de leur passé dans la nouvelle triade familiale, quitte à sacrifier l’avenir de leur enfant.

Dans un système favorisant le litige plutôt que la concertation, ces parents choisissent les solutions expéditives et radicales plutôt que la négociation et le compromis. Il n’est pas étonnant que l’instrumentalisation de leurs propres enfants puisse se présenter comme une issue acceptable pour des parents perturbés.
Si l’on tient compte du fait que le système social et légal privilégie ce genre d'issue conflictuelle, il n’est pas surprenant de constater une recrudescence des cas d’enfants manipulés pris en otage par des parents vindicatifs.

La problématique de l’aliénation parentale met en évidence la protection insuffisante dont bénéficient les créatures les plus vulnérables de la collectivité que sont les enfants.

Des enfants qui sont pourtant garants de l’avenir de nos sociétés.