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Enfants de manipulateurs : Comment les protéger
Christel Petitcollin

Christel Petitcollin, l’auteur du livre « Enfants de manipulateurs : Comment les protéger », décrit très clairement les conflits de loyauté qui jouent un rôle central dans la manipulation et qui ont une influence si perturbante chez les enfants qui les subissent.

„ Dans le cadre du mariage, le manipulateur est partiellement contenu par la présence de l’autre parent. Il se tient donc à peu près tranquille quand il est là. Néanmoins, dès que le manipulateur est seul avec ses enfants, il se passe déjà des choses graves. Si les adultes savaient tout ce que les enfants de manipulateur taisent, ils ne pourraient y croire.“

- Christel Petitcollin -

Les conseils qu’elle dispense aux parents pour extraire leurs enfants de la réalité manichéenne qui leur est imposée sont très pertinents. Cependant, le diagnostic essentiel qui les précède, afin de déterminer qui est vraiment responsable de l’abus (puisque la projection est une des manœuvres phares du manipulateur), semble plutôt aléatoire.

Bourreau et victime

En effet, bien que les agissements d’une personne recourant à la manipulation soient décrits avec précision, l’auteur cède à la tendance de vouloir diviser le monde, et par extension les parents, en deux entités distinctes : d’un côté les parents manipulateurs, et de l’autre les victimes de la manipulation. Certes, de telles situations existent, et l’on comprend bien que le propos du livre est essentiellement de se consacrer à des manipulateurs purs et durs, mais très souvent la frontière entre ces deux conditions (bourreau-victime) est assez floue. Il ne faut surtout pas négliger que les deux parents peuvent tour à tour être manipulateurs et victimes.

Mettre des étiquettes sur les individus, alors que certaines inconnues subsistent, c’est paradoxalement faire le jeu de ceux qui usent de la manipulation pour arriver à leurs fins. En adoptant une manière réductrice de voir le monde, en noir ou en blanc, on finit par manquer de lucidité pour résoudre des situations conflictuelles, notamment lorsque le « manipulateur » est susceptible de corriger son attitude.

Afin de pouvoir se faire une idée vraiment objective d’une situation donnée, il ne faut pas négliger l’avis des parents accusés, parfois à tort, d’être des manipulateurs. En effet, contrairement à un procès équitable où chaque protagoniste est autorisé à s’exprimer, seuls les avis des prétendues victimes sont mentionnés dans ce livre.
On comprend bien que le but de l’auteur n’est pas de faire un rapport exhaustif de chaque cas, mais un potentiel manque d’impartialité constitue bien la faiblesse de ce genre de livre.
Malheureusement, nous n’avons pas toujours affaire à des victimes irréprochables, dont les accusations sont validées par des faits irréfutables. Très souvent, ces personnes revendiquent un statut de victime, par le simple fait qu’elles se trouvent en thérapie. Comme si cela était un gage suffisant de bonne foi. D’ailleurs, de nombreux thérapeutes naïfs ou incompétents ne se gênent pas d’affirmer qu’ils n’ont jamais vu de manipulateur en traitement, ou pour employer un qualificatif à la mode, de « pervers narcissique ». Ce qui est une autre manière de dire que seules les vraies victimes consultent.

Pourtant, Christel Petitcollin cite les travaux de Maurice Hurni et de Giovanna Stoll, qui accueillent en thérapie des couples pervers. Elle est donc parfaitement consciente qu’un manipulateur puisse aller en thérapie (seul ou accompagné).
Face à ces potentielles méprises, il semble nécessaire de pouvoir disposer d’outils de diagnostic fiables permettant de faire la distinction entre une fausse et une vraie victime.

Par ailleurs, il existe différents degrés de manipulation, entre celle à but louable (encore faut-il pouvoir la justifier) que tout le monde utilise de temps à autre et la malveillance à l’état pur. Là encore, il est nécessaire d’avoir tous les éléments de preuve avant de juger. D’ailleurs, l’auteur dénonce fort justement dans son livre l’erreur qui consiste à s’attaquer à la personne qui recourt à la manipulation malveillante, alors que c’est sa manière d’agir (récurrente ou non), dans un contexte déterminé, qui est condamnable.

Aliénation parentale

Bien que Christel Petitcollin se refuse à l’accepter, l’aliénation parentale ou l’exclusion parentale (peu importe le terme employé) est bien la conséquence finale de la manipulation malveillante qu’exercent certains parents sur leurs enfants. C’est même un phénomène de société plutôt inquiétant que l’auteur occulte totalement, puisqu’elle n’y voit qu’un mythe véhiculé par des parents manipulateurs.
D’après elle, les accusations d’aliénation parentale sont dirigées à des mères par des pères revanchards. Christel Petitcollin a sans doute été influencée par le témoignage de quelques-unes de ses clientes, qui ont invoqué cette défense, utilisée par leurs ex-conjoints pour se tirer d’affaire, dans des situations de divorce très polarisées. Notons cependant que le jugement péremptoire de Christel Petitcollin est contredit par de nombreux thérapeutes, pour qui l’aliénation parentale est bien réelle. Autant   les pères que les mères poucant en être les auteurs. D’ailleurs, de plus en plus d’enfants, qui sont les principales victimes de l’aliénation parentale, dénoncent, à l’âge adulte, les effets préjudiciables d’un tel abus.

Faux souvenirs

« Pour verrouiller le système du SAP, les pervers y ont ajouté la théorie des faux souvenirs. Figurez-vous que je peux croire me souvenir de trucs qui n’ont jamais existé ! Il fallait oser quand même ! C’est tordu, mais c’est bien dans la lignée de la mauvaise foi et du déni des manipulateurs. » Christel Petitcollin

Christel Petitcollin s’attaque ensuite à la théorie des faux souvenirs. Un sujet très sensible qui a créé, dans les années 1985- 1995, une vague de procès retentissants aux USA de la part de personnes (principalement des femmes) accusant leurs parents (principalement leurs pères) d’avoir commis des violences sexuelles à leur encontre durant leur enfance. De nombreuses familles ont été irrémédiablement fracturées, sur la base de souvenirs induits par des thérapeutes peu scrupuleux et incompétents. La prise de position de Christel Petitcollin, qui ne croit pas à l’existence de faux souvenirs, est assez choquante, sachant que des scientifiques ont mis en évidence le manque de sérieux de ces théories. Sans compter que certains plaintifs sont revenus sur leurs accusations fantaisistes. Comme la journaliste Meredith Maran qui a écrit un livre très édifiant sur le sujet : « My Lie: A True Story of False Memory ». Il ne s’agit pas de nier que de tels souvenirs puissent parfois se rapporter à des faits avérés. Cependant, le risque de se tromper est considérable si l’on ne fait pas preuve d’un certain esprit critique.

Conclusion

Une question qui mériterait de figurer à la partie 1 du livre « Les données du problème » est celle-ci :
Pourquoi certains parents manipulent ?
En répondant à cette question centrale, sans obligatoirement chercher une clé psychologique, puisque toutes sortes de raisons présentes (désir de vengeance, peur d’être découvert et sanctionné, avantages matériels) sont amplement suffisantes pour justifier une telle attitude, il est alors plus facile de comprendre pourquoi ces parents désirent empêcher toute relation de leur enfant avec l’autre parent.

Devoir être exclu de la vie de ses enfants en raison d’un parent manipulateur est sans doute une réalité très déstabilisante pour ceux qui n’envisagent pas une telle issue après une séparation, dont ils ne sont de plus pas obligatoirement responsables.

Finalement, répondre à la question « Pourquoi certains parents manipulent ? » permettrait aussi de dédiaboliser ceux qui recourent à la manipulation malveillante. Avant d’être des monstres, ces individus sont plutôt pitoyables et pathétiques.

Si le lecteur fait l’effort de sortir de la logique dichotomique victime — bourreau, dans laquelle Christel Petitcollin s’enferme volontiers (et le lecteur par conséquent), probablement en raison du pouvoir déstabilisant des situations très polarisées qu’elle décrit, et également parce que cela facilite notre compréhension du monde, alors il pourra sans doute y voir un peu plus clair.