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Un manque d'ambivalence est le résultat direct d'un processus de conversion psychologique, tendant à convaincre celui qui en est l'objet, que le monde est composé de personnes bonnes ou mauvaises, sans aucune zone intermédiaire. Lorsqu'un enfant subit, dès son plus jeune âge, cette influence, il manifeste ensuite, à l'état adulte, toutes les caractéristiques d’un fanatique, dont la rigidité caractérielle le rend hermétique et intolérant à toute forme de changement. 

„ The alienated child uses psychological splitting as a defence against an intolerable situation.  The rejected parent who uses psychological splitting does the same thing.  The defence acts to push the person using it into the belief that the world is divided into good and bad and people are for you or against you.“

- Karen Woodall, Understanding Parental Alienation -

Vivre avec la conviction d'être dans le vrai offre cependant de nombreux avantages, car la dynamique mentale qui est le moteur du fanatisme permet de répondre efficacement aux défis de l'existence, en trouvant toujours des réponses simples aux problèmes les plus complexes. Dès que l'on a acquis la tendance à porter un jugement péremptoire sur les individus et à les classer en alliés ou ennemis, selon quelques critères restrictifs, il est immédiatement possible de prendre les dispositions qui s'imposent et poursuivre ainsi ses objectifs. Les scrupules moraux, à agir dans un sens déterminé, existent d'autant moins, que c'est la plus parfaite conscience de faire le bien qui anime désormais l'individu fanatique. 
Pour ceux qui n'observent pas le phénomène d'aliénation de l'intérieur, il est difficile de concevoir qu'un adulte aussi sûr de son fait, actif et rayonnant à bien des égards, est le plus pur produit de la propagande et qu'il est dorénavant incapable de penser par lui-même. Regardons le fanatique dans ses actes quotidiens, il est animé d'une telle force de caractère que nul ne peut mettre en doute qu'il appartient à la race des décideurs et des vainqueurs. Ce sont des personnes comme lui, sachant trancher dans le vif, qui mènent le monde. 
A-t-il vraiment perdu son libre arbitre ?
En quoi est-il dépossédé de son identité et de sa raison de vivre, tant la flamme qui l'anime semble inextinguible ?
Comment prétendre qu'il soit en porte-à-faux avec la réalité, alors qu'il a dépassé depuis longtemps un simple état d'adaptation pour devenir un acteur et un réformateur du milieu ambiant ?
Il façonne son univers et par extension celui des autres. Il ne s'est pas seulement fait une place au soleil, il est rayonnant, resplendissant. Il a remplacé l'astre céleste. C'est le guide suprême !
Comment ne pas se glorifier d'une telle métamorphose ? 
Il est sûr d'avoir gagné au change. L'individu aliéné a rayé son passé de sa propre existence. Les souvenirs, de l'enfant timoré et malléable à souhait qu'il était, ne sont pas enfouis au plus profond de sa conscience, car toute son histoire personnelle a été soumise à une totale réécriture. Son cerveau a subi le même traitement qu’un disque dur formaté. Toutes les données d’origine ont été effacées de sa mémoire. Et, même pire, dans les cas les plus précoces d'aliénation, elle n'a jamais eu le temps de se former. Les connexions du petit crâne de l'enfant n'étaient pas encore pleinement opérationnelles quand on lui a appris à voir le monde en noir ou blanc. L'individu aliéné est un bloc monolithique qui a passé de l'enfance à l'état adulte sans aucune transition psychoaffective.
Pourtant, il exulte ! 
Le petit frustré se croit désormais le maître du monde. À défaut de la force physique des hommes valeureux, qui n'ont pas peur de combattre à mains nues, il dispose d'un moyen bien plus redoutable et efficace de s'imposer : diviser pour régner. Le petit soldat n'a rien inventé, puisqu'il ne fait que reproduire la méthode de ses mentors ; mais imbu de lui-même, il revendique la paternité de cette découverte. À partir du moment où il en constate les résultats bénéfiques pour sa personne, la jouissance est double. Tout d'abord, elle est le symbole de l'aboutissement d'un processus de réalisation personnelle, mais également de la punition et de la déroute de l'ennemi. Dans la dynamique mentale du fanatique, la vision dichotomique du monde n'autorise pas la coexistence de deux états antinomiques. La réalisation d'un objectif implique nécessairement d'atteindre ce qui est considéré comme un statut positif, qui s'exerce fatalement contre une opposition devant assumer l'état contraire.

L'aliénation parentale, qui consiste à conditionner un enfant afin qu'il déteste un de ses parents, n'est donc en définitive qu'une facette particulière d'une problématique plus universelle, qui vise simplement à dresser un portrait dualiste de la réalité. Cette tendance, plus ou moins innée, a constitué de tout temps le plus grand frein au développement de la civilisation. Les phénomènes de diabolisation et de boucs émissaires ont non seulement occasionné des divisions et des conflits fratricides entre les peuples, mais paradoxalement ils ont également constitué le seul moyen dont disposaient les collectivités d'obtenir une certaine cohésion, en luttant contre un objectif commun, sacrifié afin d'améliorer l'entente du groupe. 

Les fanatiques qui règnent dans une famille ou dans un régime dictatorial partagent les mêmes objectifs : asseoir leur pouvoir et convaincre leur auditoire de l'absolue nécessité d'appliquer leur programme. Ils ont besoin d'alliés. Pour ce faire, une des méthodes les plus efficaces reste de flatter l'orgueil de leurs sujets, en déversant leur frustration et leur ressentiment contre un ennemi commun. Lorsque l'adhésion est obtenue, la politique peut être appliquée. Le plus souvent, elle se fait au détriment de ceux qui ont été exclus.

Dans une famille digne de ce nom, comme dans une vraie démocratie, il en va tout autrement. L'intérêt général est privilégié. Chacun a le droit d'exprimer son point de vue, sans se trouver confronté à la censure et à la punition. Une certaine tolérance règne. Les parents sensés, aussi bien que les gouvernants du même acabit, comprennent tout l'avantage de faire participer chacun au bien général. Certes, des injustices subsistent, mais il est possible de les dénoncer afin de les réparer. 

Par contre, ce n'est pas ce qui survient dans ces familles dans lesquelles un parent s'arroge le droit de vie et de mort sur ses vassaux, après avoir exclu les opposants potentiels. Ce genre de famille fonctionne comme au Moyen Âge, avec un obscurantisme alarmant, privilégiant la chasse aux sorcières et les règlements de compte, plutôt que l'apaisement et la concertation. Pourtant, ce genre de famille a souvent pignon sur rue. Son dysfonctionnement pathologique s'impose même comme un modèle viable dans les sociétés démocratiques alors qu'elle est l'antithèse de la normalité et qu'elle véhicule des croyances et des comportements de nature à détruire la cohésion d'une nation, sans laquelle aucune cohabitation entre les citoyens n'est réalisable. 
Ces familles qui pratiquent à haute dose l'aliénation, telle que nous l'avons définie, c'est-à-dire le développement de mentalités primitives reposant sur l'exercice d'une violence psychologique et physique, constituent le plus grand danger auquel est confrontée la civilisation actuelle. 
Depuis plusieurs décennies maintenant, une horde d'enfants déréglés émerge de ces familles. Filles ou garçons, femmes ou hommes. À peine venus au monde, on leur enseigne à haïr leur père ou leur mère. On leur en fournit les justifications les plus puériles. On leur dit que ces émotions négatives et ces sentiments de haine sont adéquats et que c’est bien de suivre leur instinct. Ils se voient comme des redresseurs de tort. Ils ont des comptes à régler. Rien n'échappe à leur courroux. Ils sont prêts à tout casser. 
Les résultats de cette éducation catastrophique ne se font pas attendre. Sans repère, ces fanatiques, pressés d'en découdre, ne doutent pas un seul instant qu'ils doivent changer le monde, dans un bain de sang si nécessaire. Les parents criminels qui se sont occupés d'eux n'ont cessé d'instiller dans l'esprit de leurs rejetons leurs propres besoins de vengeance. Plusieurs générations d'enfants aliénés et fanatisés n'ont jamais connu d'amour inconditionnel. Dès leur plus jeune âge, ils n'étaient que les bras armés de parents perturbés. Maintenant qu’ils sont devenus grands, ils ont pris le relais. Ils sont à l'air libre, bien décidés d'imposer leur logique. Ils sont capables de franchir toutes les bornes, comme les événements tragiques nous le rappellent à intervalles réguliers. 

Et, pourtant, un certain immobilisme règne. Les services sociaux, peinent à alerter l'opinion publique des conséquences pernicieuses des idéologies totalitaires régnant dans certaines familles. Cette inertie ne fait qu'encourager les postures de victimisation et les procédures juridiques extrêmement polarisées, où les accusations les plus infamantes sont devenues la norme, fournissant ainsi des justifications aux responsables de ces divisions.