Dans l’aliénation parentale, les manœuvres en coulisse restent invisibles. Elles sont difficilement interprétables par le parent exclu. Pourtant, elles sont décisives pour transformer et façonner l’enfant à la convenance du parent aliénant.
C’est donc ce territoire, inconnu et inaccessible au parent mis sur la touche, qui détermine de manière définitive le ressenti et le comportement de l’enfant. La plupart des situations d’aliénation parentale s’enlisent aussi bien en raison d’une interprétation erronée de ces zones d’ombre, que des dispositions hasardeuses qui en découlent.
„ Je veux passer dans la coulisse, de l'autre côté du décor, connaître enfin ce qui se cache, cela fût-il affreux. “
- André Gide -
Les témoins privilégiés des manœuvres en coulisse sont le parent aliénant et l’enfant. Pour sa part, le parent écarté louvoie entre deux attitudes souvent contradictoires, bien qu’elles partent d’une intention louable.
La première est de dénoncer un phénomène, l’aliénation parentale, dont il ne maîtrise pas les paramètres, au même titre, mais pour des raisons différentes que l’enfant, qui en est la principale victime. La seconde est de faire comme si l’aliénation n’avait pas lieu, ce qui fausse totalement le rapport avec les autres protagonistes et notamment son enfant, car cette attitude de non-dit finit par légitimer une maltraitance, si elle a effectivement lieu, dont les effets à long terme sont dévastateurs.
Il est cependant possible de contourner le black-out institué par un parent aliénant, soutenu par ses proches et certains intervenants externes, en se servant de l’expérience des enfants aliénés qui ont eu le courage de témoigner de l'abus qu'ils ont subi.
Les données du problème
Les enfants de l’aliénation commencent de plus en plus à poindre leur nez. Avec leur lucidité retrouvée, ils décrivent avec moult détails, l’envers du décor. Un univers marqué par la manipulation mentale et l’amour conditionnel. Leurs histoires personnelles présentent des similitudes troublantes.
Conjointement à l'expulsion du témoin gênant que représente l'autre parent, l'enfant est pris en main afin qu'il se plie aux desiderata du parent abusif. C'est un rapport à sens unique, dans un espace clos où la coercition s'impose d'elle-même, sans la nécessité de recourir à la violence physique. L'enfant n'a qu'une perception tronquée de la réalité extérieure, car elle lui est intégralement transmise par le parent aliénant.
L'enfant se plie à la loi de ce parent, car il n'a aucune autre alternative. Le parent aliénant va miser sur le constat d'absence de l'autre parent, pour renforcer la dépendance unilatérale de l'enfant à son égard. Pour ce faire, il renverse les rôles en jouant notamment la carte de la victimisation. Ce n'est pas lui qui a créé cette situation. Elle lui a été imposée de l'extérieur, par la force et l'influence néfaste de l'autre parent. L'enfant découvre alors qu'il a été victime des mauvais traitements du parent absent, même s’il n’a pas de souvenirs précis justifiant cette nouvelle perception de la réalité.
Un lien entre sa souffrance, bien réelle, et sa cause, tout à fait fictive, est alors établi, permettant au parent abusif d'accroître son emprise. À partir de ce stade, le parent exclu devient le bouc émissaire, sur lequel se déversent tout le ressentiment et la haine du parent aliénant et de son enfant. Bien qu’ils forment une entité en porte-à-faux avec la réalité, le mode de fonctionnement du parent aliénant et de son enfant les autorise à trouver une réponse pratique aux défis de l’existence. Surtout dans un monde ou la compétition et l’absence d’empathie pour les autres sont parfois jugées nécessaires pour s’en sortir.
Tout ce qui leur procure satisfaction dépend exclusivement de leur propre alliance, de même que tout ce qui les contrarie est indépendant de leur propre volonté, puisque toutes les difficultés qu’ils rencontrent sont désormais imputables à l'influence néfaste de l'autre parent. Bien que ce dernier, et cela constitue l’aspect le plus paradoxal et perturbant de ce phénomène, est souvent réduit au silence.
Les mécanismes aliénants
1. L’absence
L'absence du parent exclu devient paradoxalement la présence nécessaire, sur laquelle repose toute l'organisation mentale du parent aliénant et de son enfant. Il est facile d’accuser quelqu’un de ne pas être là, où il est supposé être, et de le rendre responsable de cette « désertion » en invoquant les prétextes les plus futiles, voir les raisons les plus infamantes. Cette personne, cible de la haine et du ressentiment n’est non seulement plus là pour se défendre, ce qui est déjà suffisant pour affirmer que les absents ont toujours torts, mais de plus elle est tenue volontairement à l’écart. Si bien qu’aucune de ses tentatives de rapprochement se révèle fructueuse. Au contraire, tout effort du parent aliéné, visant à rétablir la réalité des faits et à dissiper les malentendus, est perçu comme une menace intolérable. Si le parent exclu parvient à expliquer son point de vue, le risque est, en effet, grand que le mythe créé par le parent aliénant s’effondre.
2. Le pouvoir
Lorsque le pouvoir se concentre dans les mains d’une seule personne, il conduit à légitimer toutes sortes d’abus. Lorsqu’il s’exerce de manière arbitraire, le pouvoir est d’abord la possibilité matérielle d’agir dans une direction déterminée, sans risque d’encourir des reproches. Dans ces conditions, la domination, aussi physique que psychologique, sur un subordonné est parfaitement légitime et adaptée à atteindre le but fixé, en l’occurrence, le dressage d’un enfant. Le pouvoir est aussi la capacité légale d’exclure et de punir tout contradicteur gênant. Le pouvoir est finalement le moyen d'imposer, éventuellement par la force, des décisions arbitraires afin de régenter la vie des individus. Le pouvoir tyrannique inspire la crainte et le ressentiment. Le parent aliénant parvient à s'arroger le statut de grand commandeur, sous le simple prétexte qu’il prétend agir dans les meilleurs intérêts de son enfant, et bien qu’il n’a aucune qualité morale, pour justifier de telles prérogatives.
3. Le programme
Le pouvoir et le programme sont interdépendants. Il n’y a pas de pouvoir sans programme et inversement. Le programme n’est, en effet, applicable qu’après avoir acquis un certain pouvoir. Cette simple évidence, de nombreux parents aliénés ne la perçoivent pas, pour la simple et bonne raison que ce n’est pas de cette manière, aussi pragmatique, qu’ils envisagent la fonction du pouvoir, et encore moins, leur rôle éducatif. En tous les cas, il leur semble inimaginable que la famille puisse fonctionner comme une simple institution administrative, dépourvue de toute composante affective.
Il est important de souligner que les parents écartés sont souvent ceux qui sont susceptibles d’aimer inconditionnellement leurs enfants et leurs partenaires d’ailleurs. Si ces parents « idéalistes » ne concevaient pas les relations humaines comme une source d’enrichissement mutuel, comme une découverte réciproque où l’empathie, la générosité et la tolérance sont de rigueur, sans doute seraient-ils mieux à même de percevoir une autre réalité. C’est-à-dire l’aliénation, une expérience si dérangeante qu’ils préfèrent fermer les yeux pour ne pas ébranler leurs convictions humanistes. Il est très difficile de déceler de la malveillance derrière les actes d’un conjoint, lorsque l’on part du principe que les enfants issus de cette union ont droit à un amour désintéressé. Il ne viendra jamais spontanément à l’esprit d'un parent convenable de considérer qu’il est possible de manipuler et d’utiliser son enfant afin qu’il haïsse l’autre parent, et tout ceci, dans un but purement égocentrique.
À plus forte raison, ce même parent sera stupéfait de constater qu’il existe un programme structuré pour accomplir cette mission d’exclusion. Ce n’est pas parce que le programme se déroule en coulisse, à l’abri des regards indiscrets, qu’il n’existe pas. C’est au contraire pour cette même raison qu’il est tant redoutable et efficace.
Le programme s’impose comme une évidence au parent aliénant, non seulement parce que ses objectifs sont clairs, mais surtout parce qu’il n’y a personne pour le contrecarrer. Sciemment implémentée, l’aliénation en est la conséquence directe.
Si l’aliénation se présente d’abord comme un chemin incertain pour les observateurs non avertis, elle se transforme progressivement en route aux contours bien définis. Et, finalement, lorsque cette route est à un sens unique et que la marche arrière est interdite, elle devient un boulevard. Comme un ingénieur des ponts et chaussées, le parent aliénant ne fait que baliser le terrain afin de rendre le trafic le plus fluide possible. Afin de supprimer tous les risques de collision. Comme une autoroute, l’aliénation est un univers de transit. Un univers sans croisements. Un univers clos. On ne se parle pas. On ne communique pas. On poursuit sa route sans rien dire.
Le programme ?
De glissières de sécurité, en clôtures continues, de bandes d’arrêt d’urgence que l’on n’utilise pas, sauf cas exceptionnel, en larges talus enherbés pour éliminer tout contact avec ceux qui circulent en sens inverse, l’aliénation est bien une voie que les parents aliénants empruntent quotidiennement avec leurs enfants, bien qu’elle soit l’antithèse d’un moyen de communication, puisque l’aliénation ne conduit nulle part.
4. La manipulation
Le programme n’est pas applicable sans manipulation. Il faut dire à un enfant que le porridge est bon pour la santé, pour qu’il se résigne à l’ingurgiter tous les matins. La manipulation est ni plus, ni moins, l’art de rendre désirable ce qui est en réalité détestable et conduirait au refus le plus catégorique, si l’intention inavouée du manipulateur était révélée. Dans l’aliénation, la manipulation sert à transformer les perceptions de l’enfant, ainsi que celles des proches, afin qu’ils partagent les croyances du parent aliénant et adhèrent à son programme. La manipulation vise donc à modifier la réalité, afin qu’elle puisse servir les intérêts totalement d’une seule personne : le parent aliénant.
La manipulation va donc de pair avec la dissimulation et le mensonge. Différents moyens sont utilisés pour conditionner d’abord l’enfant, et ensuite toutes les personnes qui sont susceptibles d’entrer en relation avec le manipulateur et ses victimes. Le but ultime de la manipulation est de garantir que la victime suive d’elle-même le programme qui lui est imposé, en ayant l’illusion du caractère entièrement consenti de ses actes. Si, dans un premier temps, il est nécessaire de profiter de la vulnérabilité de la cible, comme c’est le cas d’un enfant ne maîtrisant pas les paramètres de la situation, grâce à une certaine pression psychologique (voir physique lorsque l’enfant se rebelle), il est ensuite possible de réduire progressivement la pression directe, pour finalement arriver au stade ultime, où la personne manipulée trouve une source de gratification importante à reproduire exactement l’acte qui était précédemment exigé d’elle, avec cette fois la conviction d’agir de son plein gré.
Lorsque l’enfant est totalement aliéné, il n’a plus le recul nécessaire pour constater l’abus qu’il a enduré, puisque cela équivaudrait à admettre qu’il n’est pas responsable de ses choix et de ses décisions. Une telle remise en question est d’autant plus difficile à accepter que le parent manipulateur a parfaitement transmis à son enfant l’illusion qu’il est désormais le seul maître à bord, capable de supprimer toutes les interférences gênantes. Cette passation de pouvoir est l’étape ultime de la manipulation ou le manipulé devient lui-même manipulateur. Un manipulateur qui n’a désormais plus aucune entrave pour projeter sur n’importe quelle cible, selon le modèle acquis de son mentor, toutes ses émotions négatives.
Lorsque l’aliénation est parfaitement réussie et que l’enfant a repris à son compte la problématique du parent aliénant, il adopte naturellement le même mode de fonctionnement pour évacuer le conflit intrapsychique provoqué par l’aliénation. Cela ne résout bien sûr pas les conflits interpersonnels générés par la projection extérieure de l’hostilité. Cependant, la manipulation devient alors un moyen facile et assez jouissif, pour quelqu’un qui en maîtrise parfaitement les rouages, d’éluder toute responsabilité et de retomber sur ses pattes.
En conclusion, la manipulation, qui peut être considérée comme l’arme du lâche, puisqu’elle nécessite la présence de personnes vulnérables pour s’exercer, reste alors le meilleur mode d’expression pour les enfants aliénés devenus adultes.
Tout le problème consiste donc à faire prendre conscience à une personne de cet acabit que ce qu’elle obtient à travers l'exercice de la manipulation n’est rien, comparé à la satisfaction que pourraient lui procurer des relations établies sur la confiance réciproque. La résolution de ce problème est d’autant plus ardue que ces personnes recourent à la manipulation justement parce qu’elles n’ont pas confiance en elles.
L’effet de la manipulation est donc double : il détruit la confiance entre les individus et réduit, comme peau de chagrin, celle que l’on avait probablement en soi.
Mais, l’effet de la manipulation est encore plus pernicieux lorsque l’on ne peut plus s’en passer, comme c’est souvent le cas pour un parent aliénant. Tout manipulateur aguerri perçoit, en effet, la nécessité de nier la portée de ce genre d'action. C'est le premier à affirmer qu’il est sincère et qu’il n’a jamais manipulé personne. Il lui faut cependant encore justifier la voie sans issue à laquelle conduit la manipulation. Une impasse qui se constate, dans le cas de l’aliénation, à travers la guerre ouverte, et souvent unilatérale, d’un parent contre l’autre, ainsi que dans l’implication malheureuse d’un enfant dans ce même conflit. C’est un fait incontestable, pour un observateur neutre, que la manipulation conduit à des situations délétères.
Comment se justifient alors les parents aliénants ainsi que les enfants qui ont pris parti pour eux ? Simplement en accusant les parents exclus d’être des manipulateurs !
Sur ce point crucial du comportement manipulatoire, son auteur commet un lapsus révélateur. Bien qu’il s’estime lui-même totalement innocent en accusant l’autre parent d’être un manipulateur, il n’en nie plus l’existence. Par conséquent, en renversant les rôles, il prouve incidemment que la manipulation est un acte délibéré, qui ne peut donc pas être occulté, malgré les capacités de dissimulation de son auteur.
Est-ce que le parent aliénant est capable d’évoluer dans sa compréhension du phénomène de la manipulation et du rôle clé qu’il joue dans son utilisation et sa propagation ?
Là est toute la question. Il ne semble y avoir aucune issue possible à l’aliénation tant que les parents aliénants s’enferment dans le déni, et refusent d’admettre leur responsabilité dans les situations préjudiciables qu’ils provoquent.
5. La confusion
Le parent aliéné constate la rupture du lien et perçoit ce qui est en train de se jouer, mais il n’a pas les moyens d’influencer les acteurs principaux qui agissent dans son dos. L’enfant est par ailleurs sourd aux appels du parent écarté et à ses tentatives de désamorcer l’aliénation, car sa manière d’agir se calque directement sur le modèle comportemental du parent qui le manipule. À ce stade, la confusion est donc partagée par l’enfant et le parent cible, tous deux victimes de l’aliénation. Du fait de l’interdiction d’entrer dans les coulisses, les autres observateurs éventuels en sont réduits à formuler des hypothèses qu’ils brandissent volontiers comme des vérités, bien qu’ils soient dans l’ignorance totale de la dynamique relationnelle de ces relations.
Faut-il inclure la confusion du parent aliénant dans ce processus ?
Dans la mesure où c’est la seule personne qui a un plan clair et qui va tout faire pour l’exécuter, il est difficile de considérer qu’elle soit dans la confusion. Pourtant, nous pouvons imaginer que c’est en raison d’un manque de lucidité qu’elle a retenu l’option de l’aliénation comme une solution acceptable à son problème. Il existe donc d’un côté la confusion générée par l’aliénation et de l’autre côté la confusion de l’aliénateur qui précède son action aliénante. Bien entendu, il ne s’agit pas du même type de confusion. L’une résulte de l’impossibilité de voir clair, bien que la volonté de résoudre ce problème soit bien présente, alors que le second état de confusion n’est pas reconnu comme tel, puisque l’aliénation est la solution définitive adoptée par le parent aliénant à laquelle il ne veut bien sûr pas renoncer.
D’un point de vue éthique, il s’agit alors de déterminer si la manière que choisit le parent aliénant pour évacuer sa confusion est acceptable. La réponse est bien évidemment non, ceci pour deux raisons. La première est que la résolution de la confusion ne peut en aucun cas produire plus de confusion. La seconde est que le refus de reconnaître la confusion produite par le comportement aliénant ne sert, en définitive, que les intérêts du parent aliénant.
6. Les dilemmes
Lorsque le parent absent comprend finalement qu’il joue un rôle qui ne lui correspond pas, il va tout faire pour essayer de dissiper les malentendus. Il va d’abord tenter de se justifier. Il va démentir les accusations portées contre lui. Il va essayer de démontrer que les calomnies répandues sur son dos sont totalement infondées. Mais, ce faisant, il s’enferre, car il valide indirectement les croyances erronées qui circulent à son sujet.
N’y a-t-il pas de fumée sans feu ?
Il va vouloir ensuite se réconcilier avec le parent aliénant, se rendant implicitement compte que, sans la participation de ce dernier, aucune amélioration, dans sa relation avec son enfant, aura lieu. Il se heurte alors à un silence hostile, et à un refus total de collaborer. Il se retrouve ainsi face à un premier dilemme : soit il baisse les bras, dans l’espoir que la situation s’arrange avec le temps, soit il essaie de s’extraire de l’étau, qui vise à briser sa volonté.
Dans un état d’impuissance, il est alors fort probable qu’il décide de contre-attaquer en utilisant les moyens légaux à sa disposition. Il se heurte alors au pouvoir institutionnel et politique, dont il découvre, à travers les vaines procédures qu’il entreprend, la dure réalité ainsi que les rouages complexes. De plus, il s'aperçoit que les éventuelles victoires, acquises sur le papier, sont totalement inapplicables, contrairement aux défaites injustes, qui elles sont parfaitement mises à exécution, à travers le renforcement de l’aliénation. Il est ainsi face à un autre dilemme.
Faut-il continuer de respecter une autorité incapable de faire respecter les droits légitimes de son enfant et de lui-même ?
7. Les réflexes conditionnés
Tous les parents confrontés à l’aliénation se trouvent comme des hamsters de laboratoire tournant sans répit sur une roue. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Soit, ils sont hyperactifs et se démènent alors comme de beaux diables pour trouver une voie d’issue, soit ils sombrent dans une espèce d’apathie ou d’attente passive comptant sur le temps pour remédier au dilemme. Ne les accablons surtout pas ! À leur place, tout le monde réagirait de la même manière. Leur comportement est inscrit dans leurs gènes parentaux. Patience et empathie sont cependant les qualités nécessaires, sur lesquelles le parent aliénant mise pour asseoir son emprise et continuer d’agir en toute impunité.
8. L’illusion tenace
Fatigué, éreinté, dépité, le parent aliéné est désormais confronté au rejet, plus ou moins définitif de son enfant. En dépit du bon sens, il continue de croire que la clé du problème ne peut provenir que du parent aliénant. Il a totalement perdu espoir que son enfant puisse réaliser par lui-même qu’il a été victime de la manipulation. Il s’attelle donc à la tâche insurmontable de réformer la pensée du parent manipulateur, en s’abstenant toutefois de lui faire de reproches directs, comme si ce parent, enfermé dans un schéma de pensées inamovibles durant des années, pouvait soudain se remettre en question !
Le parent aliéné recommence alors à pédaler comme le hamster vers cette mission impossible, mobilisant tout ce qui lui reste d’énergie. Il n’est pas exclu que le parent aliénant en profite pour continuer de le manipuler, comme il l’a toujours fait, même lorsqu’il semblait disposé à collaborer. Après des années, et parfois des décennies, d’efforts infructueux, le parent exclu se raccroche à ces faux espoirs, comme si la situation d’aliénation n’en était qu’à ses prémices. Ce qui a pour effet de le faire rétrograder aux étapes précédentes de ce conflit, caractérisé par les attentes irrationnelles et le doute le plus absolu.
9. La compréhension du mécanisme
L’expérience de l’enfant aliéné est très mal perçue. D’abord, par lui-même. Ensuite, par le parent aliénant. Probablement par le parent aliéné. Et, très souvent, par les intervenants externes, qui ont tout autant une vision tronquée d'une aliénation en cours, bien qu’ils disposent de connaissances théoriques diverses. La compréhension de l’aliénation est rendue difficile en raison des concepts figés que l’on peut avoir sur la question, alors que ce syndrome a une dynamique complexe, qui ne peut être observée qu’en mouvement. Par ailleurs, chaque situation est différente et comporte ses propres caractéristiques, ce qui rend une analyse globale très aléatoire. D’autant plus qu’il est impossible d’avoir accès à ce qui se déroule derrière la porte fermée d’un logis.
Il est d’autant plus difficile d'identifier la vraie cause de l’aliénation que d’autres explications peuvent parfaitement être recevables. Même lorsque les travailleurs sociaux suspectent une maltraitance physique de la part du parent aliénant, qui pourrait conduire à expliquer la rupture du lien de l’enfant avec l’autre parent, ils ne privilégient pas pour autant cette piste, considérant que d’autres facteurs sont susceptibles de déterminer le comportement de ce parent, dont ses troubles psychologiques, sa détresse morale ainsi que ses problèmes éventuels de dépendance, tout ceci parfois dans un contexte de précarité économique. Le parent aliénant est ainsi conforté dans son statut de victime. Par voie de conséquence, rien n’est fait pour éloigner les enfants de son influence néfaste. Cette situation est d’autant plus regrettable qu’une absence d’intervention de la part d’une institution officielle d’intérêt public, dont le rôle est justement de prévoir et d’enrayer la maltraitance enfantine, ne peut avoir que des incidences fâcheuses sur les principaux protagonistes. D’abord, sur les vraies victimes de l’aliénation, que sont l’enfant et le parent exclu, dont les droits et la dignité sont bafoués. Ensuite, sur le parent maltraitant, dont on ne reconnaît même pas le comportement abusif ni la pathologie psychiatrique, et qui n’est de ce fait jamais sanctionné ni soigné.
La compréhension du mécanisme de l’aliénation serait pourtant possible par un examen neutre et objectif de la situation.
La solution
La bonne méthode est de sensibiliser l’enfant, non pas à l’aliénation, car il n’est pas encore prêt à l’admettre ni à la reconnaître, mais plutôt au fait que le parent écarté, le bouc émissaire responsable de tout, et sur lequel toutes les critiques s’abattent, n’est pas réellement celui que décrit le parent aliénant.
Avant que l’enfant puisse prendre conscience de l’abus qu’il a subi, il est important que le parent exclu fasse preuve d’une grande empathie à son égard et qu’il reconnaisse ses propres limites, et d’une certaine manière son « insensibilité » et sa « cruauté ». Ce dernier n’a, en effet, pas été capable de venir à son secours ! Dans l’esprit de l’enfant, l’impuissance du parent absent à changer le cours des choses est bien perçue comme une désaffection.
Se mettre à la place de l’enfant et comprendre la violence psychologique qu’il a endurée, bien qu’il puisse ne pas en montrer les signes extérieurs, est indispensable pour enrayer l’aliénation.
Quand nous réalisons que l’enfant aliéné n’est pas protégé par le parent censé assumer cette responsabilité, qu’il souffre dans son corps et dans son âme et qu’il est en réalité en danger, il est alors possible de se pencher sur la maltraitance qui lui est infligée. Nous comprenons alors qu’une partie de sa vraie personnalité lui a été dérobée. Par la même occasion, nous constatons qu’il n’a pas la force ni le courage de réaliser que la personne qui le fait autant souffrir est justement celle qui prétend l’aimer, s'occuper de lui et agir pour son bien, et ceci bien mieux que n’importe qui.
Quand nous parvenons finalement à décrypter tous les rouages de l’aliénation et les attitudes qu’elle induit chez l’enfant, nous découvrons, à notre grande surprise, que sa peur maladive du rejet ne provient pas de son attachement au seul parent qui s’occupe de lui et à une surcompensation provoquée par « l'abandon » supposé de l’autre parent, mais plutôt à l’action de l’abus sur sa personnalité. Cette crainte du rejet intervient chaque fois que son propre ressenti est nié, chaque fois que son désir d’affection est oblitéré. Ce luxe d’être lui-même, l’enfant aliéné finit par se l’interdire. Il n’imagine même pas pouvoir se le permettre à l'avenir. Un véritable verrou cadenasse désormais ses pensées et ses actions.
Cependant, il subsiste une lueur d’espoir, qui ne peut provenir que d’une personne qui ne juge pas, qui ne condamne pas, et qui éveille en lui les valeurs étouffées, qu’il sait intuitivement lui appartenir. L’enfant brimé le sait, car il a parfois l’occasion de les voir s’exprimer chez d’autres.
En offrant un autre regard à son enfant, en le plaçant dans une position neutre, où il n’a pas à prendre parti, c’est en quelque sorte une porte de sortie qui lui est offerte.
Il est fondamental que l’enfant agisse de son plein gré et qu’il trouve lui-même la voie de la délivrance, sans subir un conditionnement externe.
N’oublions pas que l’enfant a été bâillonné et étouffé. N’oublions pas que sa conscience a été verrouillée. N’oublions pas qu’il a d’abord perdu confiance en ceux censés prendre soin de lui, avant de perdre confiance en lui. N’oublions pas que le parent aliénant n’a jamais cessé de lui seriner que son salut était étroitement dépendant du sien et que sans sa présence, il n’était rien. À tel point de lui faire accepter l’abus comme la normalité.
Le parent écarté doit se démarquer entièrement d’un rôle coercitif. Il doit renoncer à exercer son autorité naturelle sur son enfant, car une telle attitude n’est que la répétition de ce que l’enfant vit déjà avec l’autre parent.
Tant que l'aliénation parentale ne sera pas reconnue comme une grave maltraitance enfantine et que les moyens légaux de la faire cesser n’existent pas, la solution passera donc uniquement par la prise de conscience de l’enfant. Un enfant qui, à l’abri de toute pression et influence externe, qu’il juge en son for intérieur comme une intrusion injuste et inacceptable, sera enfin capable de dissiper la confusion qui règne dans son esprit et dans sa vie.