Certaines familles sont organisées comme un gouvernement de type dictatorial. Ce régime promulgue les règles auxquelles doivent se tenir scrupuleusement les membres de la famille. Il n’y a pas de liberté de pensée, car l’opinion individuelle n’est pas prise en compte. Il n’y a pas de démocratie ou de contre pouvoir, car le parti qui gouverne est unique. Il est unique, car il a supprimé toute opposition.
Dans ces familles, le pouvoir est exercé unilatéralement par un seul parent et sa garde rapprochée.
„ Un régime politique n'est pas seulement une organisation technique du gouvernement: il correspond toujours à une certaine idéologie, à une doctrine du pouvoir. “
- Georges Gurvitch -
La constitution du régime
C’est ce type d’organisation familiale qui sévit dans toutes les familles, privilégiant le développement de l’aliénation parentale. Si tout le monde, sans exception, se plie à ce pouvoir coercitif, l’aliénation parentale n’éclot pas obligatoirement, puisqu’il est possible de projeter à l’extérieur du groupe toutes les émotions négatives. Cependant, il suffit d’un élément perturbateur agissant au sein de ce microcosme familial pour enclencher le mécanisme de l’aliénation. Lorsque cela survient, l’empêcheur de tourner en rond doit être puni, expulsé, voire banni à vie dans les cas plus graves.
En simplifiant, le mécanisme de l’aliénation se développe selon le schéma suivant : frustration-bouc émissaire-punition. Concrètement, nous trouvons un parent malheureux qui impute à son conjoint la responsabilité de sa propre insatisfaction et qui décide de l’éjecter de la famille, avec l’aide de ses alliés, afin d’imposer sa vision du monde aux enfants.
Il n’est pas exclu que la cause du problème soit parfois le parent mis à l’écart, toutefois différents facteurs mettent en évidence que dans l’aliénation parentale, le mouton noir endosse une responsabilité pour laquelle il est totalement ou partiellement innocent.
Bien évidemment, l’aliénation a des conséquences non négligeables, puisqu’elle provoque une coupure du lien existant entre le parent stigmatisé et son enfant. Dans la réalité, ce sont les membres du régime qui régentent la vie de l’enfant, en influençant toutes ses décisions et en déterminant ses choix éducatifs et sociaux. Le régime fonctionne comme un organe de censure, qui filtre, selon des critères prédéfinis, toutes les informations et qui ne restitue, aussi bien à l’enfant qu’au parent écarté, que ce qu’il juge acceptable.
Le système
« Lorsque quelqu’un n’a pas de points de repère extérieurs à quoi se référer, le tracé même de sa propre vie perd de sa netteté. Il se souvient d’événements importants qui n’ont probablement pas eu lieu, il retrouve le détail d’incidents dont il ne peut recréer l’atmosphère, et il y a de longues périodes vides à quoi rien ne se rapporte. » George Orwell
À la base, le régime se limite au parent aliénant et à sa propre parenté (frères, sœurs, parents et grands-parents). Toutefois, il doit sa légitimité à une idéologie empruntée au système social en vigueur. Cet aspect de l’aliénation est fondamental, car sans ce support extérieur (même involontaire ou inconscient) son fonctionnement serait impossible. C’est donc le système qui valide le régime et lui donne une légitimité. Soit directement, lorsque le système a besoin du régime pour poursuivre son agenda politique, médical ou éducatif, soit indirectement lorsque le système a été corrompu malgré lui par le régime, ou qu’il agit sans connaître tous les paramètres de l’aliénation, mise en place par le régime.
Bien que le régime et le système ne visent pas formellement au même but et que leurs intérêts finaux sont souvent divergents, en l’état actuel, leur interaction a tendance à renforcer l’aliénation, et par conséquent la position du régime. C’est en quelque sorte le système qui donne indirectement carte blanche au régime et qui le conduit à agir en toute impunité.
Ne nous voilons plus la face, le fondement de la société n’est plus la famille et le système n’est plus à son service. C’est exactement le contraire qui sévit dans toutes les sociétés qui se disent développées. La famille est totalement inféodée à l’économie d’un système, dont la fonction principale est son propre développement et sa pérennisation. L’aliénation, ainsi que la cohorte d’enfants sans repère qu’elle génère, est la conséquence directe de la logique du système. Rendre les individus dépendants du système, leur faire perdre leur identité en les transformant en autant de producteurs consommateurs bien éduqués et obéissants, est une forme d’aliénation sociale qui se prolonge naturellement au sein des familles, à travers l’exclusion parentale.
La conséquence individuelle de l’aliénation parentale est la perte du lien identitaire avec la famille, en d’autres termes à ses propres racines et à son histoire personnelle. La fragilisation d’une institution comme la famille, considérée pourtant comme un des piliers essentiels de la société selon la Charte internationale des droits de l’homme édictée par les Nations Unies, est une réalité devenue incontournable, dont le système, et par extension la collectivité tout entière, portent une responsabilité indéniable.
Fonctionnement du régime
Le plus grand problème auquel est confronté le parent exclu de la triade familiale, c'est qu’il ignore comment le régime fonctionne. Or cette connaissance, qui lui fait défaut, est fondamentale.
En effet, comment anticiper les manœuvres et contrecarrer les plans du régime, lorsque le parent aliéné est dans l’ignorance totale de ce qui se trame derrière son dos ?
Certes, il est possible d’imaginer le pire, mais qui souhaite vraiment que cela survienne ? Parce que le pire, lorsque l’on a des enfants, c’est d’apprendre leur mort. Alors, lorsque quelques bribes d’informations parviennent au parent aliéné, même une seule fois par an, et lui apprennent que « les enfants vont très bien », il chasse immédiatement de son esprit toute idée funeste. Ce faisant, il se contente sans le vouloir de la version du régime, celle qui fait office de vérité officielle, à laquelle le parent stigmatisé finit par se plier. Comme tout le monde !
Pourtant, ce sont justement dans ces moments de feinte sérénité, de fausse accalmie, que la machine de l’aliénation carbure à plein régime ; un peu comme une locomotive à vapeur filant sur les rails, alimentée fiévreusement par les pelletées de charbon du chauffeur.
Que s’est-il vraiment passé dans les arcanes du pouvoir ?
Pourquoi le régime a répondu à cette question et pas à d’autres ?
Pourquoi le régime a laissé filtrer cette information et pas d’autres ?
Pourquoi le régime s’est manifesté à ce moment précis et pas avant, ni après ?
Sans comprendre le régime, son idéologie, sa manière de communiquer et d’implémenter son programme, un observateur neutre se perd en conjectures. La bouteille à encre est encore plus opaque lorsque c’est un parent exclu, tiraillé entre ses sentiments contradictoires, qui reçoit l’information. Il s’accroche peut-être à l’espoir que le parent aliénant s'apercevra de son action destructrice. Il le maudit aussi, imaginant les pires vilenies de sa part.
Un autre facteur entame sa confiance et le plonge dans l’incertitude, c’est le temps qui passe. Malgré tous les espoirs déçus, n’importe quel parent victime de l’aliénation veut y croire encore. Il voit les jours, les mois et parfois les années défiler inexorablement. Il imagine bien que son absence est exploitée par le régime, ou plutôt par l’autre parent, car dans son esprit, il ne décèle encore aucune organisation formelle et méthodique dans cette utilisation du calendrier ainsi que de lui-même. Le temps joue contre lui. Il le sait, mais ne saisit pas l’essence du programme mis en place par le régime. Même s’il le redoute au plus profond de son être, il refuse de se rendre à l’évidence.
Du régime, le parent stigmatisé ne voit hélas que les manifestations de son pouvoir. Le pouvoir est notamment présent dans cette lettre lapidaire, très emblématique, contenant deux phrases. La première, impersonnelle, lui disant que « les enfants vont très bien », sans lui, il va sans dire ! La seconde, tranchante comme une lame de rasoir, lui signifiant que « leurs plans de vacances sont déjà établis pour cette année », toujours sans lui !
Le pouvoir est incarné par cette main qui a écrit ces sentences cruelles.
Le pouvoir est cette habilité de souffler le chaud et le froid, de distiller de faux espoirs : pour cette année, ce n’est pas possible, mais patience, peut-être pour l’année prochaine !
Le pouvoir est cette capacité de maintenir un contact totalement dénaturé et d’assurer ses arrières afin de ne pas contredire l’un des principes phares du système : la promesse des lendemains meilleurs.
Le pouvoir est cette emprise exercée sur les enfants, au point de les utiliser et de les manipuler sans aucune vergogne.
Le pouvoir est cette présence incontournable et implacable, dont le parent stigmatisé ne peut pas faire à moins, qui l’empêche de satisfaire ses droits légitimes et qui, à l’envers du bon sens, détermine son comportement de parent exclu et celui des personnes impliquées dans l’aliénation.
Le pouvoir est finalement cette disposition extraordinaire d’exiger une soumission totale, d’émettre des décisions irrévocables, tout en se faisant passer pour une victime. En particulier lorsque les exclus demandent une explication ou désirent briser leurs chaînes pesantes.
Le pouvoir aveugle les victimes de l’aliénation et les empêche de considérer les autres composantes du régime : l’idéologie et l’organisation. Le pouvoir ne se limite d’abord pas à une seule personne, comme le pense trop souvent le parent aliéné, et ne s’exerce pas autour des lubies de celui qui écrit la missive annuelle au parent exclu. Le régime est avant tout une organisation parfaitement structurée, qui trouve sa force dans la collaboration de ses divers protagonistes. Reprenons l’image de la locomotive à vapeur : le chauffeur agit en parfait tandem avec le mécanicien. C’est en quelque sorte le régime, mais cela ne suffit toutefois pas à faire fonctionner la locomotive : il faut encore un réseau ferroviaire comprenant des aiguillages, des passages à niveau, etc. Le système de transport et les deux entités en apparence séparées (la locomotive et les rails) fonctionnent conjointement, comme dans l’aliénation.
L’idéologie, le pouvoir et l’organisation du régime
Connaître l’idéologie du régime, décortiquer la logique de sa manière de penser est primordial si l’on souhaite combattre contre un ennemi qui a un système de valeurs bien particulier.
1. Idéologie
Comme toutes les dictatures, le régime porte avant tout une idéologie au service du pouvoir. En réalité, c’est le pouvoir pour le pouvoir qui est brigué et l’idéologie ne sert que de décoration. C’est une façade qui se doit tout de même d’être recevable et de frapper d’autant plus les esprits qu’elle est vide de sens. Aucune personne sensée ne peut raisonnablement penser que l’exclusion d’un parent, de la part de l’autre, puisse se justifier par un simple caprice. Par conséquent, l’idéologie du régime est tout axée sur une critique radicale et violente de ses opposants. Afin que ce discours réducteur porte, il est important qu’il suscite une réaction émotionnelle. La défense de la morale est souvent invoquée par le régime afin de produire un ralliement et une stigmatisation des opposants. Un des principes de l’idéologie du régime de type dictatorial est de permettre, à travers la punition des brebis galeuses, un renforcement de l’unité. Sur le long terme, cette stratégie est fréquemment vouée à l’échec, car le régime est un groupe restreint de personnes en contradiction entre elles, puisque chacune aspire au pouvoir exclusif.
Les dissensions internes du régime sont potentiellement réactivées, lorsque l’équilibre structurant de l’aliénation est rompu. Il suffit de la disparition d’un maillon fort, personnifié, par exemple, par le grand-père ou la grand-mère du parent aliénant, ou encore de la défection du maillon faible, comme le cas d'un enfant insoumis qui décide de voler de ses propres ailes pour remettre en question la sainte alliance.
L’idéologie du régime vise bien sûr à discréditer totalement le parent rejeté, mais, là encore, cette tactique peut se retourner contre leurs auteurs, dans la mesure où le comportement du parent cible ne correspond pas toujours au plan échafaudé par les parents aliénants.
Incapables de se remettre en question, les membres du régime manquent foncièrement de flexibilité. Ils ne perçoivent pas les modifications de la réalité, amenées notamment par la prise de conscience du parent stigmatisé au sujet du fonctionnement du régime.
2. Pouvoir
Dans le cadre de l’aliénation parentale, le pouvoir est fragile, car il est concentré entre les mains de très peu de personnes. D’autre part, il s’exerce également à l’encontre de personnes mineures, qui sont amenées à se défaire progressivement de l’influence du régime. Bien évidemment, les liens filiaux donnent une dimension plus profonde, du moins d’un point de vue affectif et légal, à ce genre de relation coercitive. Bien que le caractère fusionnel de ces liens ne laisse, en aucun cas, présager des bouleversements qui adviennent lorsque des enfants acquièrent la faculté de penser par eux-mêmes, une telle éventualité n’est jamais à sous-estimer. Si ce n’est par le fait que l’exercice du pouvoir n’est possible que lorsqu’il y a quelque chose à contrôler. Que ce soit dans le cas d'une famille aliénante ou d'une élite politico-économique, il est aussi important que le régime offre un certain confort à ses dépendants.
Si le régime tient son pouvoir de la famille et de la valeur symbolique, affective ou marchande qu’elle représente à laquelle tous les protagonistes s’accrochent naturellement, bien que dans les faits, elle n’existe plus, il est impossible de maintenir indéfiniment cette illusion.
Il arrive un moment où le régime se dissout, soit parce que les acteurs principaux ont quitté le navire, soit parce que le psychodrame créé de toutes pièces par le régime ne rime plus à rien.
Le pouvoir du régime existe tant qu’il parvient à donner une représentation agréable de la réalité. Par conséquent, tant que chaque protagoniste joue volontiers le rôle imposé par les scénaristes principaux, c’est-à-dire ceux qui tiennent les ficelles de ce jeu de dupes.
Cette prise de conscience de la fragilité du pouvoir ne conduit malheureusement pas à sa désagrégation rapide, cependant elle offre la possibilité au parent stigmatisé de varier ses approches et de percevoir les faiblesses inhérentes au régime.
Par ailleurs, bien plus que dans n’importe quel autre régime, la succession du souverain se déroule au sein d'une même famille. Face à la disparition progressive des protagonistes, il se pose alors le problème de savoir qui va les remplacer. Si les enfants sont logiquement désignés pour reprendre le flambeau parental, car les grands-parents meurent et le parent aliénant perd progressivement de son assise, rien ne prouve que les soldats, même s’ils ont pris du galon, aient la volonté de remplir cette mission. En réalité, leur destin, déjà fortement marqué par l’aliénation dont ils ont été malgré eux victimes, bien qu’ils puissent totalement le nier et revendiquer au contraire d’avoir agi en toute liberté, n’est pas une garantie suffisante pour accepter le pouvoir qui leur a été légué.
Leur destinée fatale est plutôt de reproduire les mêmes mécanismes ailleurs que dans cette famille qui se trouve désormais au rebut. En d'autres termes, c'est en devenant, eux-mêmes, parents dans une relation conjugale où ils s’exposent pourtant à revivre l’aliénation, autant comme exécutants que comme victimes. Exécutants, car le sort les fait tomber sur un parent qui sera potentiellement exclu, comme l'a été leur père ou leur mère précédemment. Victimes, parce qu'ils ont rencontré peut-être plus retors qu'eux, et ils ne disposeront pas d'autre choix que celui de se retrouver dans la peau du parent qu'ils avaient rejeté.
3. Organisation
« Tant que les lapins n'auront pas d'historiens, l'histoire sera racontée par les chasseurs. » Howard Zinn
Le régime est une organisation politique qui gouverne la conduite des affaires familiales et sociales de ses membres, dans laquelle une ou plusieurs personnes exercent tous les pouvoirs de manière absolue, sans qu'aucune loi ou institution ne les limite. En effet, ce sont bien les membres du régime (le parent aliénant et ses complices) qui imposent leur loi. Ce sont bien eux qui décident. Ce sont bien eux qui organisent la vie quotidienne des enfants aliénés. Ce sont bien eux qui les contrôlent et les empêchent de jouir d’une relation affective satisfaisante avec l’autre parent. Cette forme d’organisation est donc synonyme de régime autoritaire.
L’organisation du régime tend vers un but unique : réécrire l’histoire. Le régime recherche systématiquement à faire disparaître la trace des absents. Mais, cela ne suffit pas, il doit détruire tout ce qui se rattache à leur souvenir. En d’autres termes, le régime doit modifier la mémoire des seules personnes susceptibles de découvrir une autre réalité, c’est-à-dire les enfants aliénés.
Dans les objets familiaux, dans les procédures administratives, dans les rapports éducatifs ou médicaux, dans l’arbre généalogique familial, les patronymes indésirables sont occultés ou effacés. Et, quand cette politique d'éradication est impossible, c’est symboliquement que le régime détruit l’ascendance et la descendance des exclus.
Tout le programme du régime consiste à implémenter le cadre opérationnel dans lequel ses dispositions contraignantes sont appliquées. Le régime utilise d’abord les faux semblants, afin de susciter un consentement spontané. Le régime profite ensuite des alliances accommodantes, donnant une impression d’officialité, pour asseoir son pouvoir et pour paraître au-dessus de tout soupçon.
Conclusion
La famille est divisée pour servir le système, autant d’un point de vue économique que social. Le rôle des intervenants est de légitimer les dysfonctions familiales produites par la société et de leur accorder une justification morale qui sert les intérêts du régime. Sous prétexte de défendre les mythes de la liberté individuelle et du droit au développement personnel, le système attise le feu de la discorde au sein même des familles.
Les intervenants du système social agissent en parfait tandem avec les acteurs de l’aliénation, qu’ils en soient les auteurs ou les victimes, puisqu'ils ont besoin de ces derniers pour exister. L’avocat, le psychologue et le travailleur social sont plus dépendants de leurs clients que le contraire. Ils n’ont aucune vision à long terme. Ils s’occupent juste de rafistoler des situations boiteuses, afin que les individus puissent continuer à fonctionner dans le système.
Afin de lutter contre toutes les formes d’aliénation et en particulier l’aliénation parentale, il est impératif de comprendre le fonctionnement du système ainsi que du régime familial qu’il produit, et de refuser la division est l’exclusion qu’il engendre, en privilégiant le dialogue, la conciliation et la désobéissance civile si nécessaire.